Andrej Babis, le retour de l’oligarque
- fdalancon
- 1 oct.
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Grand favori des élections législatives, le milliardaire tchèque joue la carte nationale-conservatrice pour capter les électeurs anti-système.
Lunettes de soleil sur le nez, sourire aux lèvres, omniprésent sur le terrain comme sur les réseaux sociaux, Andrej Babis, 71 ans, affiche la confiance du favori à la veille des élections législatives des 3 et 4 octobre. Son parti (« ANO») caracole en tête des sondages depuis plusieurs mois avec plus de 30 % des intentions de vote. Sauf imprévu, le milliardaire tchèque sera chargé de former le gouvernement qui succèdera à la coalition de centre droit dirigée par Petr Fiala depuis 2021. Ancien premier ministre (2017-2021), candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2023 contre Petr Pavel, Andrej Babis a transformé ANO, une formation libérale, centriste et pro-européenne à l’origine, en un parti populiste, eurosceptique et anti-immigration. Au risque d’augmenter le déficit budgétaire, il a fait campagne pour le plafonnement des coûts de l’énergie, des réductions d’impôts et l’augmentation des retraites.
Cette dynamique positive ne devrait toutefois pas suffire à lui permettre de gouverner seul. Andrej Babis devra former une coalition avec au moins un des partis représentés à la Chambre basse, ou, à défaut, un gouvernement minoritaire. Premier partenaire potentiel, la liste Stacilo regroupant communistes et sociaux-démocrates. Le second est une coalition d’extrême-droite, emmenée par le parti Liberté et démocratie directe (SPD) de Tomio Okamura. Autre option, improbable mais pas complètement exclue, une coalition entre ANO et une partie de l’ODS, le Parti démocratique-civique, membre de l’actuelle coalition gouvernementale. La victoire annoncée de l’oligarque confirme, en tous cas, le déclin des partis politiques traditionnels, à commencer par le parti social-démocrate, le plus ancien à avoir existé sur le territoire tchèque, depuis sa fondation en 1878. « L’alliance des sociaux-démocrates avec les communistes scelle le tragique et complet déclin de la social-démocratie et, avec elle, de la gauche tchèque » souligne Petr Janyska, journaliste indépendant et ancien ambassadeur.
Fraude aux subventions européennes
Andrej Babis traîne néanmoins quelques casseroles susceptibles de compliquer son retour à la tête du gouvernement. La Cour d’appel a annulé en juin dernier sa relaxe dans une affaire de fraude aux subventions européennes au profit de son groupe agroalimentaire Agrofert. Le tribunal municipal de Prague doit rendre son verdict après les élections. Une condamnation pourrait conduire le président Petr Pavel à nommer une autre personnalité au poste de premier ministre. Autre obstacle potentiel, le conflit d’intérêts posé par son conglomérat. En décembre 2024, il en a repris la pleine propriété, après l’avoir placé en 2017 dans deux fonds fiduciaires. Un audit de la Commission européenne avait conclu en 2019 qu’il en restait le « bénéficiaire effectif », confirmant l’existence d’un conflit d’intérêts au plus haut niveau du gouvernement. Andrej Babis affirme vouloir se conformer « à toutes les exigences fixées par nos lois » mais si cette question n’était pas réglée, le président Petr Pavel pourrait, théoriquement, refuser sa nomination au poste de Premier ministre en invoquant l’article 70 de la Constitution.
Le scrutin testera également l’érosion du consensus transpartisan en faveur de la démocratie libérale et de l’ancrage du pays dans l’espace euro-atlantique. « Ce socle commun partagé par la plupart des forces politiques est désormais source de conflictualité » explique la politologue Vladimira Dvorakova. Le président Petr Pavel, pro-européen et atlantiste, a d’ores et déjà fait savoir qu’il ne nommerait pas de ministres favorables au retrait de la République tchèque de l’OTAN ou de l’UE. Andrej Babis s’oppose à ce retrait mais la question se poserait s’il décidait de former une coalition avec le SPD qui propose la tenue d’un référendum sur la sortie de l’Union européenne.
Slovaque d’origine, né à Bratislava, l’entrepreneur milliardaire est issu de l’ancienne nomenklatura communiste. Fils de diplomate, il a passé une partie de son enfance à Paris et à Genève. Dans les années 1980, membre du PC tchécoslovaque, il représente l’entreprise publique de produits chimiques Petrimex au Maroc pendant six ans jusqu’à l’effondrement du bloc soviétique en 1991. Son nom figure dans les dossiers de la StB, le service de renseignement de l’époque, sous le nom de code Bures. À son retour, fort de son expérience du commerce international et de ses contacts au sein des réseaux communistes, Andrej Babiš dirige la filiale tchèque de Petrimex à Prague. Après la partition de la Tchécoslovaquie, il crée Agrofert avec quelques partenaires. Au fil des acquisitions et privatisations, le groupe devient le premier employeur privé du pays. Au début des années 2010, l’industriel met la main sur plusieurs médias tchèques, -deux quotidiens, un groupe multimédia et une chaîne de télévision-, et se lance en politique en promettant de diriger l’État comme une entreprise. Présent principalement en Europe centrale (République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Allemagne), Agrofert a récemment fait l’acquisition d’une boulangerie industrielle et d’une usine d’engrais en Allemagne.
Flexibilité idéologique
La flexibilité idéologique d’Andrej Babis, adepte du marketing et des sondages, lui a permis d’attirer l’électorat social-démocrate avant de se tourner vers les électeurs de l’extrême-droite. Son populisme social séduit les retraités et les bas-salaires dans les anciennes régions industrielles et minières. Ces derniers temps, il joue la carte nationale-conservatrice pour capter les électeurs anti-système. En 2024, les députés européens de son parti ont quitté les libéraux (Renew Europe) pour rejoindre le groupe « Patriotes pour l’Europe » aux côtés de ceux du Rassemblement national. Fin mai 2025, Viktor Orban saluait la présence de « l’ancien et futur premier ministre » à la Conservative Political Action Conference (CPAC) de Budapest. « Ce ne sera pas le même Babis que lors de son premier mandat » analyse Petr Janyska. « Il pourrait- s’opposer à Bruxelles sur le Pacte vert et le Pacte sur les migrations mais sans aller trop loin car son business bénéficie des subventions européennes. C’est un milliardaire pragmatique, pas un idéologue comme Kaczynski ou Orban ».
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