Cette Amérique qui nous déteste, le livre choc de Richard Werly
- fdalancon
- 2 nov.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 nov.
Et si un bon vieux camping-car de Cruise America était le meilleur moyen de rencontrer l’Amérique à ras de bitume, dans les parkings de Wall Mart ou Cotsco, et les stations-service, sur les Interstate highways entre Chicago et Mar-a-Lago ? De ce périple, Richard Werly a tiré l’idée d’un livre qui ne résume pas à son titre coup de poing.
Dés le début, le dialogue avec Greg, le mécano de Cruise America, plante le décor d’une Amérique en colère. L’éditorialiste du quotidien suisse Blick dresse ensuite avec pégagogie l’inventaire implacable d’une Amérique qui s’éloigne à toute vitesse du Vieux continent. On le savait depuis l’invasion de l’Irak en 2003 et les imprécations néo-conservatrices contre les « cheese-eating-surrender monkeys », ces Français coupables de s’opposer à cette aventure insensée: du haut de sa puissance, l’Amérique aime la force, elle aime inspirer la peur et profiter de la faiblesse de ses adversaires comme de ses concurrents.
Avec talent, Richard Werly déroule le tableau de cette Amérique raciste, avide et misogyne incarnée par Donald Trump, reflet de quelque chose de profond et de durable dans la culture américaine. Trump, c’est l’Amérique du catch, de la télé-réalité, des casinos et des jeux d’argent qui ne sont pas l’apanage de Las Vegas ou Atlantic City, mais sont ancrés partout dans le quotidien. L’Amérique MAGA, c’est aussi la culture de la célébrité, les réseaux sociaux, la fraude, le mensonge éhonté et les arnaques.
L’ère de la destruction
De retour à la Maison Blanche, Trump utilise sans vergogne tous les leviers de l’État pour favoriser sa famille ainsi que ses alliés et punir ses adversaires. Il détruit les normes et les institutions… Et physiquement, - tout un symbole-, l’aile est de la Maison Blanche, pour y construire une salle de bal géante. Le coût, 250 millions de dollars, sera financé par des fonds privés. Une liste, publiée en septembre, recense plus d’une trentaine de donateurs, sans préciser le montant de leurs dons. La Maison Blanche a dissimulé l’identité de plusieurs de ceux qui trouvent là le moyen de s’attirer les faveurs du président ou d’obtenir sa protection.
Le verdict sans appel de celui qui « a enquêté et interrogé » ? L’Amérique du racket a succédé à l’Amérique protectrice. S’ils veulent bénéficier de la « garantie de sécurité » américaine, les alliés de l’OTAN doivent « payer » : en acceptant des droits de douane sur leurs exportations vers les États-Unis et en achetant des armes américaines, y compris pour équiper l’Ukraine. Dans une vision d’apocalypse, les « croyants fanatisés » au pouvoir à Washington font face au « christianisme zombie » d’une Europe sécularisée, gangrenée par l’immigration musulmane.
L’Amérique, allégorie de nos humeurs
Quelques questions à l’auteur de cet ouvrage aussi passionnant que décapant, histoire de prolonger le débat. La dénonciation des turpitudes, - Ô combien réelles-, de l’Amérique n’est-elle pas une façon de décrire, en creux, une Europe victime, manipulée par une puissance féroce, toute entière acharnée à son entreprise de vassalisation ? Depuis Alexis de Tocqueville, l’Amérique est le miroir où se projette l’inconscient français. « Allégorie de nos humeurs, l’Amérique évoque tantôt la modernité et le progrès social, tantôt la violence impérialiste et la justice expéditive d’un shérif dérangé » écrivaient Denis Lacorne et Jacques Rupnik dès le milieu des années 1980, dans l’introduction de L’Amérique dans les têtes. En réalité, la « colonisation numérique » du Vieux continent par les « sept magnifiques » de la Big Tech américaine ( Amazon, Apple, Alphabet, Microsoft, Meta, Nividia, Tesla), de même que sa dépendance sécuritaire envers le « parapluie américain », pourrait bien relever de la « servitude volontaire » décrite par Étienne de La Boétie.
Des Européens travaillés par l’autoritarisme et le souverainisme
Et quelle peut-être la «riposte » européenne, appelée de ses vœux par Richard Werly, si les Européens sont eux-mêmes travaillés par l’autoritarisme et le souverainisme ? Quand 54 % des Français se disent prêts à « voter pour le RN à l’avenir » ( selon le dernier baromètre Viavoice du quotidien Libération), lorsqu’en Allemagne, les sondages montrent les chrétiens-démocrates au coude à coude avec l’AfD, on peut se demander si les citoyens du Vieux contient trouveront la volonté de suivre les recommandations de Mario Draghi, l’ancien Premier ministre italien et ex-gouverneur de la Banque centrale européenne, favorable à un « fédéralisme pragmatique ». Oui, ces « coalitions de pays volontaires » dans le domaine de la défense, de la sécurité énergétique et des technologies de pointe sont à mettre en oeuvre d'urgence. Encore faut-il des forces politiques prêtes à les porter.
N.B. L’indifférence plus que la détestation
Vu des Etats-Unis où je me trouve actuellement, l’Europe suscite plus l’indifférence que la détestation. L’Amérique nous ignore car elle a d’autres chats à fouetter. Ci-dessous quelques échantillons de ce qui fait l’actualité américaine des derniers jours:
Shutdown et food stamps Le blocage de l’administration fédérale depuis le 1er octobre, faute d’un accord sur le budget au Sénat, ressemble à une partie de poker où les deux adversaires, démocrates et républicains, sont persuadés d’avoir la meilleure main. Plus de 600 000 employés fédéraux ont été placés au chômage partiel et les agents pourraient se voir privés d’une partie de leur salaire. La plupart des 2,2 millions d’agents fédéraux n’ont pas touché leur salaire (versé tous les quinze jours aux Etats-Unis) à la mi-octobre. Résultat, 42 millions d’Américains à faible revenu ne savent pas si et et quand ils recevront les coupons alimentaires du programme fédéral.
ICE, la milice du pouvoir trumpiste. L’ICE (Immigration and Customs Enforcement) est la police de l’immigration. Depuis janvier, les grandes villes démocrates voient débouler ses hommes en tenue de combat, masque noir sur le visage, véhicules sans immatriculation. Avec une particulière brutalité, elle chasse les immigrants illégaux devant les écoles où ils conduisent leurs enfants, sur leur lieu de travail ou à l’hôpital.
Wall Street. Amazon, deuxième best performer à la bourse de New York, après l’annonce de 30 000 licenciements worldwide. Nvidia, le concepteur de puces, devenu l’entreprise la plus riche du monde, caracole en tête des valeurs boursières. Dans le classement, on retrouve Tesla, Meta et Palantir, la startup californienne de traitement de données.
Intelligence artificielle. En dépit du risque de bulle spéculative, Google, Meta, Microsoft et Amazon prévoient de dépenser des milliards de dollars supplémentaires en intelligence artificielle. L’IA est le principal moteur de l’économie américaine, une ruée vers l’or qui fait la fortune des fabricants de puces come Nvidia, des gestionnaires de centres de données comme Oracle. La construction de centre de données grands consommateurs d’énergie met sous pression le marché de l’électricité et fait monter la facture dans les foyers américains. Le torpillage des filières éolienne et solaire par Trump y contribue, ce qui pourrait déboucher sur une relance du nucléaire.
Les bonnes affaires de la famille Trump. Cryptomonnaies, immobilier, club privé à Washington, drones, tout est bon pour faire fructifier les affaires des sociétés détenues par la famille Trump, au mépris de toute notion de conflits d’intérêts.
Des officiels logés sur des bases militaires. Au moins six responsables de l’administration Trump logent dans des résidences normalement à la disposition des officiers supérieurs de l’armée américaine dans la région de Washington, où ils sont protégés d’éventuelles violences mais aussi des manifestations. Un signe de la polarisation du pays à laquelle l’administration Trump a elle-même contribué. Parmi eux, Stephen Miller, chef adjoint de l’administration, le secrétaire d’État Marco Rubio et la secrétaire à la sécurité intérieure Kristi Noem.
4 novembre. L’élection du maire de New York et des gouverneurs de New Jersey et de Virginie sont un premier baromètre de l’état de l’opinion, dix mois après le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Un an avant les élections de mi-mandat, ce sera également un test de la capacité des Démocrates à renouer avec la victoire.
De nombreux New-Yorkais s'interrogent sur Zohran Mamdani: le candidat démocrate, élu à l’assemblée de l’État depuis moins de cinq ans et largement favori, est-il prêt à diriger la plus grande ville du pays ? Son premier et unique emploi à temps plein en dehors de la politique a consisté à conseiller des propriétaires en difficulté au sein d'une petite association à but non lucratif du Queens pendant environ un an. S'il est élu, il deviendra, à 34 ans, le plus jeune maire de New York depuis 1917.
Deux femmes, Mikie Sherrill, 53 ans, dans le New Jersey, et Abigail Spanberger, 46 ans, en Virginie, portent les espoirs du Parti démocrate. Toutes les deux élues à la Chambre des représentants en 2018, elles ont en commun leur positionnement centriste et un parcours professionnel dans l’appareil de sécurité nationale. La première, comme pilote d’hélicoptère dans la marine, la seconde, comme officier de renseignement à la CIA. A Washington, ces deux élues à la chambre des Représentants, ont même partagé un appartement à deux pas du Capitole. Les deux candidates ont axé leur campagne sur la compétence et le pragmatisme pour répondrre aux questions qui préoccupent les électeurs comme le coût de l’électricité, l’emploi et le logement. En Virginie, Abigail Spanberger part largement favorite devant sa concurrente républicaine Winsome Earle-Sears. Dans le New Jersey, Mikie Sherril est au coude à coude avec son adversaire républicain Jack Ciattarelli.
Maine. Graham Platner, un démocrate contre l'establishment. Cet ancien Marines devenu producteur d’huitres, candidat à la primaire démocrate du mois de juin 2026, pour l’élection au Sénat en novembre 2026, capte l’attention des électeurs democrates. Récemment, des révélations sur une série d’anciens messages contenant des propos homophobes, publiés sur Reddit, et un tatouage nazi qu’il a fait depuis disparaître, ont suscité la polémique. Son populisme économique et son profil se rapprochent des attentes de l’électorat, à l’opposé des caciques de l’establishment démocrate: il est jeune, quand ils sont vieux ; il a servi dans les Marines en Irak et en Afghanistan quand ils ont fait Harvard ; il travaillait sur un bateau quand ils émargeaient chez McKinsey ; il prononce sans hésiter le mot «génocide » alors que les élites démocrates esquivent la question lorsqu’on les interroge sur Israël.
Commentaires