Ukraine : Zelensky interdit à son ancien chef de la diplomatie de quitter le pays
- fdalancon
- il y a 20 heures
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Après bientôt quatre ans de guerre totale, la vie politique reprend en Ukraine, marquée par des rivalités latentes, l’émergence d’alliances, le retour de la violence politique (l’assassinat au mois d’août d’Andriy Parubiy, ancien président du parlement, -le quatrième en un an-, a mis en évidence les divisions de la société et souligné à quel point la sécurité intérieure sera une préoccupation encore plus pressante après la guerre) et une reconfiguration progressive du pouvoir.
Dérive autoritaire
La présidence, appuyée par les services de sécurité et de défense, utilise les pouvoirs conférés par la loi martiale, récemment reconduite pour la seizième fois par le parlement, pour centraliser et concentrer le pouvoir entre les mains de l’administration présidentielle dirigée par Andriy Yermak.
Cet été, le gouvernement a du renoncer, sous la pression de manifestations, -les premières depuis le début de l’invasion russe en 2022-, à son projet de mettre fin à l'indépendance du Bureau national anticorruption et du Parquet spécialisé anticorruption qui menaient des enquêtes sur les proches du président. Au mois d’octobre, une nouvelle étape a été franchie avec la destitution du maire d’Odessa, Hennadi Troukhanov, et l’instauration d’une administration militaire, dirigée par Serhi Lyssak, un apparatchik issu du service de sécurité du pays (SBU). La semaine dernière, l'inculpation de Volodymyr Kudrytskyi, ancien directeur de la principale compagnie d’électricité publique, a déclenché une vague de protestation.
Des responsables de la société civile et des parlementaires de l’opposition dénoncent des poursuites judiciaires abusives, utilisées par le pouvoir pour intimider les opposants politiques, les journalistes indépendants et les militants anticorruption. Pour autant, environ 60 % des Ukrainiens font toujours confiance à Zelensky mais 70 % souhaitent l’émergence de nouvelles forces politiques après la guerre.
Des élections en 2026 ?
La loi martiale interdit explicitement la tenue d’élections législatives mais la législation est plus ambigüe pour l’élection présidentielle. Le mandat de cinq ans de Zelensky qui a expiré en mai 2024 devrait se poursuivre jusqu’aux prochaines élections, censées avoir lieu après la levée de la loi martiale, à moins qu’une loi spéciale ne soit adoptée d’ici là. Le président ukrainien et ses conseillers envisagent depuis plusieurs mois la possibilité d’organiser une élection présidentielle. Une façon pour Zelensky de contrer les critiques de l’administration Trump qui l'accusait de bafouer les normes démocratiques, tout en tirant profit de sa popularité et de sa domination de l’espace informationnel. Les sondages montrent un faible intérêt des Ukrainiens pour la tenue d’élections avant la fin de la guerre mais la vie politique électorale pourrait reprendre en 2026.
Dmytro Kuleba : « le chaudron est en ébullition »
Dmytro Kuleba, ancien ministre ukrainien des affaires étrangères entre 2022 et 2024, est aujourd’hui Senior Fellow au Belfer Center for Science and International Affairs de la Harvard Kennedy School of Government et professeur associé à Sciences Po où il dispense un cours sur la diplomatie en temps de guerre. Dans un entretien réalisé à distance pour La Tribune Dimanche, plusieurs fois interrompu par des black-out électriques, provoqués par les attaques russes contre les infrastructures énergétiques, l'ex-ministre m’a raconté comment il s’est vu interdit de quitter l’Ukraine, dimanche 2 novembre, alors qu’il s’apprêtait à franchir la frontière avec la Pologne pour se rendre aux États-Unis. L'ancien chef de la diplomatie ukrainienne a du regagner Kyiv et sa conférence, prévue le 5 novembre à l’université Harvard, a été reportée.
Pour l’ex-ministre, cette interdiction de voyager à l’étranger s’inscrit dans un contexte plus large de dérive autoritaire et de tensions croissantes autour d’éventuelles élections en 2026. « The kettle is boiling » (« le chaudron est en ébullition ») affirme Dmytro Kuleba. « Ce qui se passe autour de moi, dit-il, pourrait me contraindre à reconsidérer ma décision de me tenir à l’écart de la politique, si c'est le seul moyen de me défendre, ainsi que ma famille, contre des attaques internes ».
Ci-dessous, quelques extraits de notre conversation sur l’interdiction de quitter l’Ukraine imposée par Volodymir Zelensky à son ancien ministre ( le reste à lire dans La Tribune Dimanche).
La démocratie est-elle en recul en Ukraine ?
« Nous sommes en guerre et les cas personnels importent moins que le contexte plus large de ce qui est en train de se passer mais voici ma réponse. Dimanche dernier, je devais me rendre aux États-Unis pour rejoindre l'université Harvard où je suis Senior Fellow. A 30 minutes de la frontière ukrainienne, j'ai appris que je ne serais pas autorisé à quitter le pays. C'était la première fois que je tentais de quitter l'Ukraine depuis la modification par le gouvernement, début septembre, des règles d'entrée et de sortie du territoire, qui exigent désormais un permis de voyage unique. J’avais obtenu cette autorisation d’une organisme gouvernemental mais on m'a expliqué que des autorisations supplémentaires étaient requises. Et ce sont des autorisations politiques et non juridiques. Tout cela m'arrive alors que je n'ai aucune implication politique depuis que je ne suis plus ministre. Je mène une vie privée, je gagne ma vie en enseignant à l'université et j'écris un livre. »
Tenterez-vous une nouvelle fois de quitter le pays pour enseigner à Sciences Po en janvier ?
« Oui, car je dois commencer mon second cours sur la guerre et la diplomatie à Sciences Po en janvier et je crois que les choses doivent se faire dans le respect de la loi qui ne doit pas être discriminatoire. Mais si je ne trouve pas de solution légale, je ne ferai rien d'illégal pour franchir la frontière. Je respecterai la loi. »
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