Omniprésent à Mar-a-Lago, la résidence de Donald Trump en Floride, Elon Musk pèse de tout son poids dans cette période de transition, fort des 100 millions de dollars dépensés en soutien de la campagne du candidat républicain et de ses 205 millions de followers sur X. Elon Musk participe aux entretiens d’embauche de la future administration et fait pression publiquement sur le président élu pour le choix du secrétaire au Trésor. Trump l’a associé à ses entretiens téléphoniques avec le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
La semaine dernière, Musk a rencontré l’ambassadeur iranien à l’ONU à New York. Le président élu a assisté, à ses côtés, mardi 19 novembre, dans le sud du Texas, au sixième vol test de la fusée Starship, un prototype que SpaceX ambitionne d'utiliser pour envoyer des astronautes sur la planète Mars.
Sa nomination à tête d’un nouveau « département de l’efficacité gouvernementale », une agence créée sur mesure pour lui, statutairement à l’extérieur du gouvernement fédéral, lui permettra de maximiser son influence, d'obtenir de nouveaux contrats ou subventions pour ses entreprises et de faire mettre en veilleuse les enquêtes et contrôles d'agences fédérales comme la Federal Trade Commission et la Federal Communications Commission.
Ceci, sans avoir à vendre ses actions et à prendre ses distances avec son business pour éviter les conflits d’intérêts : en 2023, les sociétés d’Elon Musk se sont vu promettre 3 milliards de dollars dans le cadre de quelque 100 contrats avec des agences fédérales. Au moins vingt enquêtes ou contrôles des autorités fédérales les ont visées, notamment sur la sécurité de ses voitures Tesla et les dommages environnementaux causés par ses fusées. En 2002, SpaceX a dépassé Boeing pour devenir le deuxième fournisseur de la NASA. En octobre 2024, la United Space Force, sixième branche des forces armées américaines en charge de la conduite d'opérations militaires dans l'espace, a attribué à cette même entreprise un contrat de 733, 6 millions de dollars pour des lancements spatiaux.
La relation incestueuse entre ces deux hommes impulsifs et imprévisibles s’annonce mutuellement bénéfique mais leurs visions du monde et leurs intérêts divergents pourraient finir par les opposer. Trump se dit prêt à une guerre commerciale avec la Chine, l’un des marchés les plus lucratifs de Tesla. Plutôt sceptique sur la fabrication de voitures électriques, Trump est protectionniste. Musk, lui, s’oppose aux tarifs douaniers et applaudit quand le président argentin Javier Milei décide de réduire les droits de douane. Sur le changement climatique, leurs positions sont différentes.
Une nouvelle oligarchie
D’ores et déjà, ce partenariat inédit symbolise l’alliance entre le national-populisme du mouvement MAGA (Make America Great Again) et la vision techno-libertaire des milliardaires de la Silicon Valley. Adoubé par les oligarques de la « Big Tech », Donald Trump, champion de l’Amérique profonde, blanche et nostalgique d’un âge d’or mythique, vient légitimer un régime 2.0, favorable au développement des cryptomonnaies et de l’intelligence artificielle.
Les leaders de la tech et du capital-risque misent sur la nouvelle administration pour limiter la portée des réglementations fédérales sur l’intelligence artificielle, laisser prospérer les cryptomonnaies, mettre un frein à la politique antitrust de l’administration Biden, acheter davantage de drones militaires et ne pas augmenter les impôts des milliardaires.
« Tech Coup » et kleptocratie
La fusion Trump-Musk, -l’homme le plus puissant du monde et l’homme le plus riche du monde-, dessine l’avènement d’une nouvelle forme techno-politique de régime autoritaire. Au programme de cette kleptocratie, associant les magnats de l’industrie numérique et technologique, la captation des institutions, en particulier le ministère de la justice et la police fédérale (FBI), l'armée et les services de renseignement.
La révolution numérique voit des entreprises privées assumer de plus en plus de fonctions normalement remplies par les États, par exemple, dans la protection de la sécurité nationale et la collecte de renseignement. « La réalité est que la plupart de nos infrastructures critiques sont détenues et exploitées par le secteur privé » admettait Joe Biden, en août 2021, après avoir reçu à la Maison Blanche une délégation de patrons du secteur de la tech.
« Le risque de tyrannie est réel » alerte Marietje Schaake, ancienne député européenne et chercheuse à Stanford, dans un livre publié en 2024 (1). « Les géants de la technologie soumissionnent anonymement pour des contrats visant à utiliser des pans entiers d'espaces et de ressources publics à des fins privées. Des entreprises dotées de capacités de renseignement plus puissantes que celles des États sont moins réglementées que notre tasse de café »
X, instrument politique
Musk a transformé Twitter-X en instrument politique pour élire un président. Son algorithme distribue l’information aux utilisateurs de la plate-forme de manière à façonner les narratifs et à changer leur perception de la réalité. Question: va-t-il répéter l’expérience dans d’autres pays et devenir un acteur dans les élections allemandes ou françaises ?
L’accélération en cours ne fait, en tous cas, qu’approfondir un peu plus le fossé entre l’Europe et l’Amérique. Le décrochage économique du Vieux continent par rapport à l’Amérique fragilise l’approche de l’Union européenne centrée sur la régulation (Digital Markets Act, projet de codes de bonnes pratiques sur l’IA à usage général, modération des contenus par les géants de l’internet, protection des données et des droits d’auteur, protection contre la concurrence déloyale).
Pas sûr que la menace d’une exclusion du marché européen en cas d’infractions graves et répétées à ces réglementations soit efficace si la part de l’Europe se réduit dans le PIB mondial et si les géants américains du numérique peuvent s’en passer. La régulation ne remplace pas les capacités d’investissement et les acteurs industriels.
(1) The Tech Coup. How to Save Democracy from Silicon Valley, Princeton University Press, 2024.
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