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Pologne : le syndrome de la division


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Les Polonais se rendent aux urnes le 18 mai pour le premier tour de l’élection présidentielle. Un scrutin crucial pour un pays uni face à la menace russe mais profondément divisé sur sa vision de l’Europe.

 


 

Chaque année, Malogoszcz célèbre ses héros. C’était il y a plus de 160 ans, dans cette bourgade de 3 500 habitants, perdue entre lacs et forêts, la première grande bataille d’un soulèvement qui vit près de trois mille insurgés échapper à l’encerclement des troupes tsaristes. En représailles, l’armée russe mît le feu à la cité qui fût ensuite privée de ses droits pour avoir aidé les « patriotes ». L’insurrection de 1863 persista plusieurs mois mais sans réussir à entraîner la paysannerie. Son échec signa la fin du « Royaume du Congrès » et son intégration dans l’Empire russe.

 

Chaque année, le 24 février, des centaines de participants se rendent au cimetière, sur la colline de l’église de l’Assomption, - non loin du presbytère où le général Marian Langiewicz, commandant de l’armée insurgée, avait installé son quartier général-, pour se recueillir devant la « tombe des insurgés ».  « Nos héros sont morts pour la liberté de notre patrie et nous sommes redevables de leur sacrifice » souligne Miroslaw Strychalski, président de la société des amis de Malogoszcz. « Avec la guerre à nos portes en Ukraine, chacun réalise que la paix n’est pas acquise ».

 

Le souvenir de cette page mythique de l’histoire polonaise reste vivace, partie intégrante de ce syndrome de la « souveraineté post-traumatique », très présent dans une élection présidentielle dominée par le thème de la sécurité. « Nous sommes unis par la peur de voir l’État s’effondrer et notre pays rayé de la carte, depuis les partitions, la Seconde Guerre mondiale et l’époque de la République populaire lorsque la Pologne figurait sur la carte mais n’était pas souveraine » décrypte le politologue et historien Jaroslaw Kuisz.

 

Comme il y a dix ans avec Andrzej Duda, le président sortant qui achèvera son mandat le 6 août 2025, les nationaux conservateurs misent sur un candidat « citoyen », l’historien Karol Nawrocki, pour maintenir la présidence dans le giron du parti Droit et Justice (PiS), chassé du pouvoir en 2023. Sans réelle expérience politique, ce spécialiste du rôle de l’URSS dans l’histoire de la Pologne post-1945 a dirigé le controversé musée de la Seconde Guerre mondiale de Gdansk, avant de prendre la présidence de l’Institut de la mémoire nationale, fer de lance de la politique de réécriture mémorielle entamée par le PiS. Au pouvoir depuis décembre 2023, le Premier ministre Donald Tusk mise sur une victoire de Rafal Trzaskowski, le maire libéral de Varsovie, pour mettre fin à une cohabitation tendue au sommet de l’État et mener à bien son programme.

 

Chef de l’État et commandant en chef des armées, le président de la République polonaise dispose d’un pouvoir majeur : il peut retarder l’application d’une loi votée par le parlement en demandant l’avis du Tribunal constitutionnel ; ou refuser de la signer et y opposer son droit de veto qui ne peut être renversé que par une majorité des trois cinquième à la Diète.

 

Au pas de charge, les deux principaux candidats sillonnent le pays au rythme de deux à trois villes par jour. Soucieux de conquérir le cœur des ruraux, Rafal Trzaskowski tente de gommer son image de bobo progressiste et cosmopolite. Intitulé « mon plan pour la Pologne », son programme parle de « patriotisme économique », de « zéro tolérance pour la criminalité », de « pacte de sécurité » et de « 5 % du PIB consacré à l’armée ». Karol Nawrocki, son probable concurrent au second tour, flirte sur la montée du sentiment anti-ukrainien en proposant de limiter l’accès au système de santé polonais pour les réfugiés ukrainiens. Les deux se rejoignent pour durcir la politique migratoire et conditionner l’admission de l’Ukraine à l’Union européenne au règlement du contentieux historique sur les massacres de Volhynie.

 

Depuis 2014, l’agression russe contre l’Ukraine a renforcé chez les Polonais la peur viscérale d’être envahi. Entre les deux grands partis de gouvernement, l’impératif de défense face à la Russie et la primauté de l’alliance avec les États-Unis font consensus. Uni face à la menace russe, le pays reste profondément divisé. Deux camps s’affrontent sur une scène politique centrée autour de la rivalité entre les figures tutélaires de Donald Tusk et Jaroslaw Kaczynski, héritage de la division de Solidarnosc entre une aide libérale incarnée par la Plate-forme civique (PO) et une aile nationaliste-catholique organisée autour du parti Droit et Justice (PiS). Une partie des élites politiques pense avec Donald Tusk que la souveraineté doit s’ancrer dans une Europe forte et armée. L’autre, autour de Jaroslaw Kaczynzki, continue d’assimiler l’appartenance à l’UE à une perte d’indépendance au profit de Bruxelles ou Berlin. Un nouveau différend se dessine sur l’Amérique de Donald Trump. Le rapprochement entre Washington et Moscou ravive le spectre de Yalta, lorsque Churchill et Roosevelt avaient cédé à Staline la création d’une sphère d’influence en Europe de l’Est, devenue un « Occident kidnappé » jusqu’à l’effondrement de l’URSS.

 

Très proche idéologiquement de l’Amérique MAGA (Make America Great Again), Karol Nawrocki et les ténors du PiS préfèrent ignorer la menace d’un désengagement américain en Europe. Le candidat national-conservateur s’est affiché aux côtés de Donald Trump dans le bureau ovale, le 1er mai, lors de la Journée nationale de prière aux États-Unis. Une façon de se mettre dans le sillage d’Andrzej Duda qui se flatte d’entretenir une relation privilégiée avec son homologue américain. Même si Trump ne suscite plus le même engouement, la Pologne reste l’une des nations les plus proaméricaines du monde.

 

A l’issue d’une campagne qui n’a pas mobilisé les foules, tout indique cependant que la guerre Tusk-Kaczynski ne passionne plus les Polonais. Pas moins de 78 % d’entre eux considèrent qu’elle est préjudiciable au pays, selon une enquête réalisée au mois d’avril par l’Institute for Market and Social Research (IBRIS). Slawomir Mentzen, candidat de la coalition d’extrême droite Konfederacja, en troisième position dans les sondages, tente d’exploiter cette fatigue en réclamant la fin du « duopole » et un changement de génération à la tête du pays. Personnalité politique la plus suivie sur TikTok, ce député âgé de 38 ans attire les jeunes et ils étaient nombreux à écouter sa harangue un jeudi soir sur le Rynek, la place du marché de Kielce, une cité de 205 000 habitants, à mi-chemin entre Varsovie et Cracovie. « Nous ne voulons pas du pacte européen sur la migration qui entrainerait un afflux de migrants en Pologne, ni du « Green Deal » qui nous oblige à acheter l’énergie à l’étranger au lieu d’utiliser notre charbon » affirme Slawomir Szarek, ancien élu au parlement régional et supporter de Konfederacja. « Si Trzaskowski gagne, ce sera une politique de soumission à l’UE et à l’Allemagne qui veulent marginaliser la Pologne ».

 

Dans ce chef-lieu de la voïvodie de Sainte-Croix, les deux Pologne s’affrontent sur la politique culturelle. Début mai, le PiS, majoritaire au parlement régional, a déclenché un scandale en annulant la nomination du nouveau directeur du théâtre de la ville, l’une des plus anciennes scènes de Pologne, sous prétexte que l’un des candidats, réputé proche du PiS, n’avait pas été retenu à l’issue du concours. Le ministère de la culture, cogestionnaire de l’institution avec la région, conteste la légalité de cette décision. « Cette affaire est un exemple de la pratique clientéliste des partis politiques dans l’administration publique » commente Michal Kontanski, l’actuel directeur qui retourne à Varsovie diriger l’agence de théâtre télévisé. « La Pologne aurait besoin d’une fonction publique forte et indépendante ».

 

Depuis 2015, cet ancien assistant d’Andrzej Wajda et de Krystian Lupa a diversifié le répertoire, lancé un festival international, rajeuni le public et mené à bien la rénovation du bâtiment, un chantier de quatre ans, financé en partie grâce à des fonds européens. Une première de l’auteur et dramaturge Mateusz Pakula a récemment revisité le passé tragique de la ville, le pogrom du 4 juillet 1946 contre des résidents juifs rescapés de la Shoah qui avait fait 42 morts et 80 blessés.

 

 

Fin mai, aux antipodes de la programmation « patriotique » centrée sur la grandeur de la nation polonaise, privilégiée par le PiS, le metteur en scène Jakub Skrzywanek clôturera la saison avec une nouvelle pièce qui met en lumière les histoires silencieuses de l’immobilier dans le centre-ville, en particulier les tentatives de récupération de biens ayant appartenu aux Juifs de Kielce, environ 30 % de la population avant la Seconde Guerre mondiale. « Au début du chantier, les propriétaires d’immeubles voisins sont venus me voir pour demander une compensation financière, faute de quoi ils ne nous laisseraient pas terminer les travaux » explique Michal Kotanski. « Cela m’a amené à me demander comment une grande partie de la ville s’était retrouvé entre les mains de quelques familles ».

 

Retour à Malogoszcz. Pawel Krol, 42 ans, maire depuis avril 2024, reçoit dans son bureau au premier étage de l’hôtel de ville. La cimenterie, privatisée au milieu des années 1990, reste une importante source de revenus pour la commune. « L’industrie du ciment redoute la concurrence de la production ukrainienne » s’inquiète l’édile. Ce passionné de cyclisme rêve de créer une piste cyclable qui relirait les sites historiques disséminés sur le territoire. Principal souci du bourgmestre, en dehors de ses querelles avec l’opposition au conseil municipal, « la société qui vieillit ». Pawel Krol voudrait ouvrir une maison de retraite médicalisée dans des bâtiments appartenant à l’université de Varsovie. Ce père de deux garçons âgés de 6 et 3 ans, pointe l’une des fragilités du pays, largement ignorée par les candidats à la présidence : vieillissement démographique, fécondité en berne, émigration de travailleurs qualifiés et aversion pour l’immigration. Une autre facette de cette peur de la disparition qui hante les Polonais.

 


 
 
 

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