Reviens, Alexis, ils sont devenus fous ! Moins de deux siècles après la publication de De la démocratie en Amérique, Tocqueville, philosophe de la liberté, ne manquerait pas de s’alarmer de la fragilité des équilibres démocratiques dans un pays tenté par la dictature. S’il est élu en novembre 2024, Donald Trump pourrait entraîner les Etats-Unis dans un changement de régime. Logique, si l’on se fie à la rhétorique de plus en plus violente de sa campagne. Dans ses meetings, l’ancien président promet, ni plus, ni moins, d’«éradiquer les communistes, marxistes, fascistes et la gauche radicale », cette « vermine » vivant aux dépens du pays.
Trump s’en défend mais il a déjà désigné ceux qu’il poursuivrait de sa vindicte, une fois de retour à la Maison Blanche. Sur sa liste : les anciens de son administration qui lui ont résisté ou l’ont critiqué : le général à la retraite John F. Kelly, ancien secrétaire général de la Maison Blanche, le général Mark A. Milley, ancien chef d’état-major des armées, l'ancien ministre de la justice William P. Barr; les responsables du FBI et de la CIA impliqués dans l'enquête du procureur spécial Robert Mueller sur les ingérences russes dans l'élection américaine; les responsables du ministère de la Justice qui ont refusé ses demandes d’annulation des élections de 2020 ; les membres de la commission d’enquête du Congrès sur l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021; des opposants démocrates comme le représentant Adam B. Schiff (Californie) ; et les républicains qui ont voté pour ou soutenu publiquement sa destitution et sa condamnation.
L’obsession de Donald Trump ? Faire du ministère de la justice, du FBI et des services de renseignement des instruments à son service, charger le « Department of Homeland Security » (l’équivalent du ministère de l'Intérieur) de la chasse aux migrants illégaux, purger l’administration fédérale, faire contrôler par le Conseil à la sécurité nationale les promotions d’officiers généraux et lever toutes les restrictions imposées à l’extraction de pétrole ou de gaz de schiste. « Je veux fermer la frontière et je veux forer, forer, forer » a récemment déclaré le président. « A part ça, je ne suis pas un dictateur »…
Plusieurs organisations conservatrices planchent sur son deuxième mandat, même si l’« agenda 47 », mis en ligne sur le site de sa campagne, reste, officiellement, le seul programme de l’ex-président. The Heritage Foundation, un think-tank très conservateur, a publié «Projet 2025», un document de 920 pages rédigé par plus de 400 contributeurs. Un plan pour « déconstruire l’État administratif », selon Paul Dans, directeur du Projet. Un autre cercle d’anciens de l’administration Trump, regroupés autour de l’America First Policy Institute, sous la houlette de Brooke Rollins, a concocté « Pathway to 2025 », un programme pour « la prochaine administration America First ».
Le « Projet 2025 » prévoit notamment la nomination de loyalistes à tous les étages de l’administration fédérale. The Heritage Foundation a mis sur pied une base de données contenant les cv de plus de 4000 individus, présélectionnés pour servir dans la future administration Trump. L’objectif consiste à trouver 20 000 personnes prêtes à occuper des postes dans toutes les agences du gouvernement fédéral. L’entreprise de logiciels Oracle utilise l’intelligence artificielle pour passer au crible les réseaux sociaux et détecter le moindre signe de critique anti-Trump dans les messages des candidats.
Autre axe, la politisation de la fonction publique fédérale. Le décret présidentiel (« Schedule F ») signé par Trump à la fin de son mandat mais jamais appliqué serait mis en œuvre pour transformer 50 000 postes de fonctionnaires fédéraux en postes dits « politiques », attribués à des individus censés être parfaitement loyaux. En plus des 4 000 postes « politiques » traditionnellement pourvus par le président, en début de mandat, au sein de l’exécutif et des agences fédérales. Les fonctionnaires jugés insuffisamment coopératifs seraient licenciés.
Au sein de cette nébuleuse trumpiste, deux hommes jouent un rôle clé. John McEntee, ancien assistant personnel de Donald Trump, un moment écarté, faute d’avoir obtenu son habilitation secret défense, puis nommé en 2020 directeur du bureau du personnel de la Maison Blanche. Stephen Miller, son ancien conseiller politique, un faucon anti-immigration, entend mobiliser tout l’arsenal des pouvoirs fédéraux pour arrêter, détenir dans des camps et expulser des milliers d’immigrés illégaux.
Les freins et contrepoids institutionnels parviendront -ils à enrayer cette dérive autoritaire si Trump était élu ? Rien n’est moins sûr, affirme Robert Kagan, dans un essai publié le 30 novembre dans le Washington Post. Qu’il s’agisse de la justice, du congrès, de l’administration fédérale ou de la Constitution. Bien-sûr, une opposition se mobiliserait, centrée autour du Parti et des gouverneurs démocrates, mais elle risque d’être divisée. Quant aux médias, leurs propriétaires seront sous pression.
Pire, les Américains pourraient s’accommoder de cette situation. Un nombre important d’entre eux, -une majorité parmi les électeurs républicains-, soutiennent l’idée selon laquelle le pays a besoin d’un dirigeant fort, capable de contourner les règles. Selon un récent sondage, les Américains sont nombreux à estime que le virage vers l’autoritarisme ne serait pas quelque chose de négatif. « Le fait que cette tyrannie dépendra entièrement des caprices d’un seul homme signifiera que les droits des Américains seront conditionnels plutôt que garantis » écrit Robert Kagan. « Mais si la plupart des Américains peuvent vaquer à leurs occupations quotidiennes, ils ne s’en soucieront peut-être pas ».
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