Son second mandat s’annonce plus radical que le premier mais les contradictions au sein de la coalition républicaine pourraient conduire à une gouvernance chaotique.
Jour de gloire à Washington. Sur les marches du Congrès, mardi 20 janvier, à l’endroit même où ses partisans prenaient d’assaut le Capitole, le 6 janvier 2021, Donald Trump prêtera serment de préserver, protéger et défendre la Constitution, entouré des multimilliardaires qui le courtisent et en présence de plusieurs chefs d’État et de gouvernement étrangers (1). «L'inauguration de l'oligarchie de Trump» commente David Remnick, rédacteur en chef du New Yorker.
Pour le natif de Queens, le borough de New York où il a grandi dans l’ombre de son père, ce retour triomphal a un parfum de revanche. Après avoir survécu à deux tentatives d’assassinat, Donald Trump a été confortablement élu et bénéficie d’un relatif état de grâce. Lui le paria, premier ex-président condamné dans une affaire pénale pour « falsification de documents comptables » en mai 2024 ; l’arriviste, venu du monde de l’immobilier, des casinos et de la téléréalité, vilipendé par les élites bien-pensantes, a éclipsé les dernières dynasties politiques, -les Bush, les Clinton et les Cheney-, et coopté un Kennedy dans son gouvernement. Ses nominations à la tête du Pentagone, du FBI, du renseignement national et de la CIA annoncent la mise au pas d’un establishment militaro-sécuritaire largement hostile à sa réélection. Elon Musk, l’homme le plus riche du monde qui a dépensé plus d’un quart de milliard de dollars pour le faire élire, ne le quitte plus. Les grands patrons de la tech, de Jeff Bezos à Mark Zuckerberg, ont fait allégeance et plus d’une dizaine de grandes entreprises ont financé sa cérémonie d’investiture. « Tout le monde veut être mon ami. Est-ce parce ce que ma personnalité a changé ? » grince, un brin sarcastique, le président-élu.
"Rendre sa grandeur à l'Amérique"
Dans ce second mandat, Donald Trump sera, au moins pour deux ans jusqu’aux élections de mi-mandat, un président sans entraves, assuré de contrôler tous les leviers du pouvoir fédéral : une administration sélectionnée principalement pour sa loyauté, une majorité dans les deux chambres et à la Cour suprême, un parti républicain à son service. Donald Trump promet de « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Il veut réécrire l’histoire en transformant les émeutiers du 6 janvier en martyrs innocents, châtier « les Lunatiques de la Gauche Radicale », mettre fin à « la folie transgenre » et poursuivre en justice les médias traditionnels qualifiés par lui de « fake news ». Sur la scène internationale, Donald Trump cultive son image de dirigant imprévisible, adepte de la « stratégie du fou », pour intimider et déstabiliser ses adversaires, à l’instar d’un Richard Nixon tentant de faire croire qu’il était prêt à utiliser l’arme nucléaire contre le Nord-Vietnam. Fidèle à sa réputation disruptive, le chef de l’État en devenir a ainsi revendiqué, dans ses vœux de Noël, sur son compte Truth Social, le contrôle du canal de Panama et du Groenland. A l’automne, il avait proposé au Canada de devenir le « 51ème État » des États-Unis et qualifié le premier ministre, Justin Trudeau, de « gouverneur ».
Immigration, tarifs, baisses d'impôt et dérégulation
Mieux préparée qu’en 2017, la deuxième administration Trump veut aller vite. Plus d'une centaine de décrets présidentiels (« executive orders ») sont prêts pour mettre en œuvre, dès le premier jour, les priorités affichées pendant la campagne : immigration, tarifs douaniers, dérégulation sociale et environnementale. Donald Trump estime que la question migratoire a joué un rôle clé dans son élection et prévoir des expulsions massives de clandestins. Son équipe se focalisera sur la « déportation » des sans-papiers avec des antécédents criminels, érigée en « urgence nationale ». Expulser des millions de migrants nécessitera un investissement important pour recruter des agents supplémentaires, prolonger le « mur » sur la frontière avec le Mexique et aménager des lieux de détention. Les élus républicains du Sénat utiliseront une procédure spéciale, dite de « réconciliation budgétaire », pour accélérer le vote de fonds supplémentaires affectés à ces opérations.
Autre priorité, en partie liée à la première, Donald Trump dit vouloir s’attaquer au déficit commercial des États-Unis. Dans sa vision mercantiliste et transactionnelle des relations internationales, les « tarifs » sont un levier à utiliser pour obtenir des concessions. Les droits de douane sur les importations en provenance de Chine et des pays émergents seront relevés. Le Canada et le Mexique se verront appliquer 25 % de droits de douane s’ils ne font pas plus pour endiguer le flot de migrants et de Fentanyl à travers leur frontière. Les Européens sont exhortés à augmenter leurs achats de pétrole et de gaz américains, faute de quoi ils s’exposeraient à une hausse de l’ordre de 10 % des droits de douane sur les exportations.
Donald Trump entend doper l’économie américaine en combinant baisses d’impôts et dérégulation dans le secteur de l’énergie, de la finance et de l’intelligence artificielle. Le futur secrétaire au Trésor, Scott Bessent, aimerait voir une augmentation de la production de pétrole de l’équivalent de 3 millions de barils par jour. A la tête d’un nouveau Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE), Elon Musk et Vivek Ramaswamy affirment vouloir réduire de 2 000 milliards de dollars les dépenses annuelles de l’État fédéral. Une gageure, sachant que Donald Trump ne compte pas toucher aux programmes de protection sociale les plus coûteux, -« Social security » (retraite fédérale) et « Medicare » (système de soins pour les plus de 65 ans)-, et se propose de renforcer, plutôt que de réduire, les dépenses militaires.
"La paix par la force"
Élu sur fond de guerre en Ukraine et au Moyen-Orient, Donald Trump s’est présenté en faiseur de paix devant une opinion lasse d’interventions coûteuses et inefficaces. Son slogan, « la paix par la force », tente de concilier deux impulsions contradictoires en politique extérieure : le maintien de la primauté américaine sur la scène internationale et le désengagement. Confrontée à quatre adversaires importants et de plus en plus alignés, -la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran-, l’administration Trump va devoir arbitrer entre plusieurs approches. L’écosystème républicain de politique étrangère comprend trois camps, tous représentés au sein de la future administration : les « primacists », favorables à la préservation du leadership de l’Amérique ; les « prioritisers », partisans d’un recentrage sur l’Asie pour contrer l’hégémonie chinoise ; les « restrainers », en faveur d’une diminution radicale du rôle international des États-Unis.
« Quelles que soient ces différences, les États-Unis sont surchargés et n’ont pas les ressources pour être le principal contributeur de sécurité de l’Europe » affirme l’historien Stephen Wertheim, chercheur à la Carnegie Endowment for International Peace. « En cas d’attaque contre un pays de l’OTAN, il est fort possible que Washington n’ait ni la capacité, ni la volonté de le défendre ». Dans une interview accordée, début décembre, à la chaîne NBC News, Donald Trump conditionne très clairement le maintien de la garantie de sécurité américaine pour les pays de l’Alliance atlantique à l’augmentation de leurs budgets de défense. En substance : « si vous voulez notre protection, vous devez dépenser davantage, de préférence en achetant du matériel militaire américain ».
Transférer le fardeau
Dans le même entretien, le futur président confirme sa vision très restrictive des intérêts vitaux américains. « La guerre entre la Russie et l’Ukraine est plus importante pour l'Europe que pour nous » dit-il. « Nous sommes séparés par une petite chose appelée l'océan ». Sous-entendu, ce sera à l’Europe de prendre en charge une éventuelle force de supervision du cessez-le-feu et le coût de la reconstruction. « Trump veut sous-traiter la gestion de crise aux européens pour l’Ukraine et aux pays du Golfe pour le Moyen-Orient » décrypte Alexandra de Hoop Scheffer, spécialiste des relations transatlantiques et présidente exécutive du German Marshall Fund (GMF). « Dans son logiciel, il ne s’agit plus de partager le fardeau mais de le transférer ».
Pendant sa campagne, Donald Trump a promis de mettre fin au conflit ukrainien « en vingt-quatre heures ». Lui et Vladimir Poutine se disent prêts à se rencontrer rapidement (sans doute au mois de mars ) mais le Kremlin entend rester maître du calendrier dans le processus de négociation. « Trump cherche à obtenir la cessation des hostilités » analyse James Linsay, chercheur au Council on Foreign Relations. « A défaut d’un accord de paix durable avec des garanties de sécurité solides pour l’Ukraine, il se pourrait se contenter d’un cessez-le-feu qui gèlerait le conflit ».
Si Poutine campe sur des demandes maximalistes, - retrait ukrainien de la totalité des régions de Donetsk, Louhansk, Zaporija et Kherson, statut de neutralité permanente pour l’Ukraine, des limites sévères à la taille de l’armée ukrainienne, levée des sanctions -, Washington n’exclut pas de nouvelles sanctions contre Moscou. L'aide américaine à l'Ukraine se poursuivrait sous forme de prêt, en échange d'un accès privilégié offert aux entreprises américaines pour l'exploitation des ressources naturelles ukrainiennes. «Conclure un mauvais deal pour l’Ukraine comporterait un risque réputationel pour les États-Unis dans un conflit où la Chine est partie prenante» ajoute James Lindsay. « Leurs alliés en Asie y voient un test de la volonté américaine de tenir Pékin sous contrôle. Et Trump ne voudra pas se retrouver dans la situation de Biden après le retrait de l’Afghanistan ».
Dans un Moyen-Orient reconfiguré, les gains d’Israël au Liban et à Gaza, la chute du régime de Bachar al-Assad et l’affaiblissement de l’Iran offrent à Donald Trump une opportunité pour un règlement régional incluant la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite et le gel du programme nucléaire iranien. Donald Trump veut la fin du conflit à Gaza et la libération des otages. Sans plus de précision, il affirme soutenir « toute solution » au conflit israélo-palestinien qui apporterait une « paix durable », tout en évitant de se prononcer explicitement en faveur de la « solution à deux États ». En Syrie, il devra se prononcer sur le maintien du contingent de forces spéciales américaines déployés dans l’est du pays pour combattre Daech aux côtés des forces kurdes. Autre défi moins connu du public, le programme russe visant à déployer dans l’espace une arme nucléaire antisatellite. Si la Russie passait à l’acte, son administration aura à choisir la nature de la riposte.
Les contradictions de la coalition républicaine
Pour atteindre ses objectifs, Donald Trump devra naviguer entre les demandes contradictoires de sa base électorale MAGA (« Make America Great Again ») et des milliardaires de la Big Tech. La coalition de la « working class » séduite par ses promesses de protection économique et identitaire et du grand patronat dérégulateur pourrait devenir ingouvernable. Une querelle a déjà éclaté sur les visas de travail accordés aux étrangers qualifiés. D’autres désaccords pourraient surgir sur les droits de douane, les relations avec la Chine et les baisses d’impôt. Difficile de prédire comment le président gèrera ces tensions, même si, lors de son premier mandat, il avait tranché en faveur des grands bailleurs de fonds de sa campagne. Selon sa biographe Maggie Haberman, Donald Trump mesure son succès à l’aune de deux critères : la bourse de New York et son image à la télévision. Plus que des considérations politiques, institutionnelles ou légales, ce sont des marchés à la baisse ou une couverture médiatique négative qui peuvent le faire hésiter ou changer d’avis.
(1) Les fonds levés par le comité d'inauguration devraient approcher la somme record de 200 millions de dollars. Le succès est tel que, faute de place, tous les donateurs ne recevront pas les tickets VIP requis pour assister aux évènements prévus dans la capitale fédérale, dès le vendredi 17 janvier, y compris un très recherché dîner aux chandelles, programmé le lundi 19 janvier.
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